Le cancer du rein reconnu maladie professionnelle (Le Travailleur N°152 / Septembre 2021)

Publié le 15/10/2021

Un nouveau tableau des maladies professionnelles vient d’être publié, le tableau n°101 du Régime général, qui concerne le cancer du rein en lien avec une exposition au trichloroéthylène. Il s’agit d’une avancée importante dans la prise en compte des pathologies professionnelles

Historique du trichloroéthylène (ou trichloréthylène).  

Le trichlo (terme employé en langage courant) est une molécule simple composée de 2 atomes de carbone auxquels sont rattachés 3 atomes de chlore.

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Il fait partie de la famille des solvants chlorés. Il a été utilisé dès les années 1920 pour ses propriétés décapantes, mais il a pris un essor important dans les années 50 dans le dégraissage, notamment des pièces métalliques, grâce à son ininflammabilité.

Le trichlo s’évapore facilement et pénètre dans les voies respiratoires. À 20°, son évaporation est équivalente à de l’eau à 45°. Son évaporation est beaucoup plus importante si le dégraissage se fait à chaud. Des salariés racontent qu’ils utilisaient du trichlo pour se nettoyer les mains enduites de graisse, ignorant alors que ce solvant passe également très facilement la barrière cutanée pour pénétrer dans l’organisme.

Si les effets, notamment sur le système nerveux, furent appréhendés assez rapidement notamment lors d’intoxications aiguës, ce n’est que plus tard que l’effet cancérigène du trichlo fut mis en évidence.

En 1995, le CIRC (Centre International de Recherche Contre le Cancer) émanation de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et qui fait autorité en la matière, classe le trichlo dans la catégorie 2 A (cancérogène probable), puis en 2012 dans la catégorie 1 (cancérogène avéré pour l’homme).

Le classement comme cancérogène en 1995 va provoquer progressivement l’abandon du trichlo pour le remplacer par des solvants moins dangereux selon le principe de substitution énoncé par le Code du travail et par des règles de prévention plus strictes (notamment valeurs limites d’exposition) quand il n’est pas possible de faire autrement.

La discussion à la Commission des pathologies professionnelles du Conseil d’Orientation des Conditions de Travail (COCT) sur la création d’un tableau concernant le cancer du rein a débuté en 2015, mais ce tableau a mis plusieurs années à voir le jour.

Le cancer du rein

Le rein est un organe complexe composé d’un million d’unités fonctionnelles appelées « néphrons » composées d’une sorte de filtre (glomérule) et d’une longue tubulure (tubule), avec au niveau de tubules des processus complexes de tri et d’échanges de divers composés chimiques.

Par ce système sont éliminés dans les urines un certain nombre de déchets, dont l’urée qui est le chef de file, ainsi que les toxiques que l’organisme aura pu absorber et qu’on retrouve alors dans l’urine, avec possibilité de les analyser.

Sachant que c’est un organe essentiel à la survie, les atteintes du rein posent un problème de santé publique important.

En 2018, on dénombre environ 92 000 patients en dialyse ou porteurs d’un greffon dans le cadre du traitement d’une insuffisance rénale chronique terminale. L’insuffisance rénale chronique est la conséquence d’atteintes diverses du rein dominées par les atteintes dues au diabète et à l’hypertension artérielle.

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Le cancer du rein procède d’un processus particulier qui consiste en la transformation maligne du revêtement des cellules des tubules avec dans 80 % des cas une typologie d’adénocarcinome. On parle d’adénome à cellules claires ou tumeur de Grawitz.

15 300 nouveaux cas ont été détectés en 2018, en augmentation régulière d’année en année, dont les 2/3 surviennent chez des hommes avec un âge moyen de survenue chez ces derniers de l’ordre de 67 ans.

Le taux de survie à 5 ans est pour l’ensemble de l’ordre de 70 % avec des variations en fonction de la gravité au moment de sa mise en évidence.

Le cancer du rein se manifeste au départ par du sang dans les urines, des douleurs lombaires ou l’apparition d’une masse dans la région lombaire. Mais un certain nombre est de découverte fortuite à l’occasion d’examens d’imagerie médicale pratiqués pour d’autres raisons, notamment la réalisation d’un scanner thoracique dans le cadre du dépistage de lésions liées à l’amiante.

Le traitement consiste à ôter le rein malade, mais de plus en plus les chirurgiens essaient dans la mesure du possible d’enlever uniquement la tumeur en préservant la partie du rein qui reste saine. Car le risque en cas de néphrectomie totale est le développement dans les suites opératoires sur le rein restant d’une insuffisance rénale chronique.

L’insuffisance rénale est objectivée notamment par la mise en oeuvre d’un examen sanguin, appelé « le débit de filtration glomérulaire » (DFG) avec une échelle de gravité selon les résultats.

Des facteurs favorisant ont été identifiés, en lien avec le mode de vie, tels que le tabagisme et l’obésité. Il n’existe pas de données sur la part professionnelle dans la survenue du cancer du rein. Mais l’accumulation des données sur la responsabilité du trichlo a amené à la création du tableau de maladies professionnelles qui vient de paraître.

Le tableau n° 101

Il apparaît comme une avancée substantielle en matière de reconnaissance de pathologie professionnelle, mais il présente quelques imperfections dues au compromis réalisé, au sein de la Commission des pathologies professionnelles, entre les partenaires sociaux.
Il convient de rappeler qu’un tableau de maladie professionnelle énonce les conditions nécessaires à satisfaire pour être reconnu dans le cadre de la présomption d’origine sans être obligé d’apporter la preuve d’un lien.

Affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène
Date de création : Décret du 20/05/2021
Désignation des maladies : Cancer primitif du rein
Délai de prise en charge : 40 ans (sous réserve d'un durée d'exposition de 10 ans)
Liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies : travaux exposant aux vapeurs de trichloréthylène : dégraissage et nettoyage de l'outillage, des appareillages mécaniques ou électriques, de pièces métalliques avant 1995.

 

Le titre « Affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène » laisse la porte ouverte pour des ajouts par la suite d’autres cancers liés au trichlo, sachant que pour le moment la situation n’est pas favorable.

Dans la colonne « Désignation des maladies » l’exigence est que le cancer du rein soit primitif, ce qui en principe ne posera pas de problème, car si le cancer du rein peut être métastatique, il est rare qu’il soit le lieu de métastase d’un cancer situé dans un autre organe du corps. De toute façon, le diagnostic anatomo-pathologique complété par des examens immunohistochimiques permettra de trancher en cas de difficulté.

Il n’y a rien à redire sur le délai de prise en charge (temps maximum écoulé entre la fin de l’exposition et la première constatation médicale) de 40 ans et une durée minimale d’exposition de 10 ans.

Par contre, pose problème la rédaction de « la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie » : « Travaux exposant aux vapeurs de trichloréthylène : dégraissage et nettoyage de l’outillage, des appareillages mécaniques ou électriques, de pièces métalliques avant 1995 ».

Cette date de 1995 est artificielle et participe de l’illusion que le fait de décréter que le trichlo était considéré dorénavant comme un cancérogène probable et qu’il fallait le remplacer par ses substances moins dangereuses, allait entraîner rapidement la mise en œuvre du principe de substitution.
Ce qui n’a pas été le cas puisque un rapport officiel (Institut de veille sanitaire) fait état qu’en 2004 si la consommation globale avait baissé ne constituant plus que 15 % des solvants chlorés utilisés, cette consommation atteignait encore les 4 350 tonnes.

Mais de plus en se limitant aux travaux de dégraissage notamment de pièces mécaniques, ce tableau laisse de côté des victimes.

Si l’utilisation du trichlo pour le dégraissage était prépondérante, il concernait ou concerne aussi un certain nombre d’autres activités et notamment :

  • le dégraissage des textiles,
  • le nettoyage dans de nombreux secteurs d’activités,
  • la synthèse d’autres hydrocarbures halogénés,
  • la vectorisation de diverses préparations (colles, vernis, peintures, encres, encaustiques) …

Dès lors ces dossiers devront être soumis aux Comités Régionaux de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) statuant dans le cadre de la preuve d’un lien direct.

Une dernière difficulté à laquelle il faudra faire face et qui est déjà apparue dans les dossiers où le cancer a été reconnu dans le cadre d’une maladie hors tableau, c’est la faiblesse de l’indemnisation, loin d’atteindre le niveau minimal d’IPP de 67 % prévu dans le barème des maladies professionnelles pour d’autres cancers tels que le cancer du poumon, les leucémies, le lymphome malin non hodgkinien.

Une ouverture sur d’autres pathologies

L’introduction du cancer du rein dans un tableau de maladie professionnelle va faciliter la reconnaissance du cancer du rein lié à d’autres facteurs de risque tels que ceux retenus par le CIRC dont les rayonnements ionisants, catégorie 1 (cancérogène avéré), et d'autres cancérogènes classés catégorie 2A (cancérogènes probables) :

  • l’arsenic,
  • le cadmium,
  • l’acide perfluorooctanïque,
  • les procédés d’impression,
  • les fumées de soudure.

L’impact du tabagisme sur la survenue du cancer (cancérogène avéré pour le CIRC) peut poser problème quand il s’agit de démontrer un lien direct et essentiel dans le cadre d’une maladie hors tableau.
Mais la jurisprudence de la Cour de cassation admet que la preuve d’un lien direct suffit quand la pathologie figure dans un tableau de maladie professionnelle.

Le CIRC identifie d’autres cancers liés au trichloroéthylène :

  • les lymphomes malins non hodgkiniens (cancérogène probable, catégorie 2 A),
  • cancers du foie (cancérogène probable, catégorie 2 A).

Mais actuellement la situation n’est pas mûre pour une quelconque avancée concernant ces cancers, obligeant les victimes à faire une démarche notamment pour les lymphomes dans le cadre d’une maladie hors tableau et d’apporter la preuve d’un lien direct et essentiel.

Concernant les affections non cancéreuses liées au trichlo, si le tableau n° 12 mentionne des atteintes cardiaques et surtout neurologiques dans le cadre d’intoxications aiguës et le tableau n° 84 (concernant d’une façon générale les solvants organiques) des troubles cognitifs, les effets à long terme sont préoccupants mais pour le moment insuffisamment pris en compte avec des difficultés à faire reconnaître en maladie professionnelle dans le cadre du système complémentaire. Il s’agit de la sclérodermie systémique (une atteinte du système conjonctif), par ailleurs reconnue en lien avec une exposition à la silice (tableau n° 25), et la maladie de Parkinson reconnue en maladie professionnelle en lien avec une exposition au manganèse (tableau n° 39), cette situation permettant d’invoquer un lien direct et non pas direct et essentiel.

Dr. L. PRIVET