Maladies infectieuses en milieu professionnel (Le Travailleur N°149 / Décembre 2020)

Publié le 08/12/2020 (mis à jour le 08/07/2021)

L’épidémie du Covid-19 vient de nous rappeler de façon spectaculaire que nous vivons en équilibre avec un monde microbien très riche dont certaines espèces vont se révéler dangereuses pour l’homme et sont dénommées alors agents infectieux. Dès lors, il n’est pas étonnant que les salariés peuvent être impactés par ces agents infectieux dans le cadre de leur travail, tout en sachant que cette question a été jusqu’à ce jour insuffisamment prise en compte.

Un monde microbien très riche

Le terme microbe a donné lieu à un pan entier de biologie : la microbiologie. Mais la connotation négative attachée à ce terme fait qu’il vaut mieux lui préférer le terme de micro-organismes sans préjuger de leur dangerosité.

Du plus petit au plus grand, la taille des micro-organismes est fonction de leur complexité : virus, bactérie, champignons, protozoaires, vers.

♦ Les virus sont des entités simples et non pas des cellules, constitués d’un matériel génétique enfermé dans une coque faite de protéines. Ils sont incapables de vivre par eux-mêmes et sont obligés d’infester des cellules vivantes pour pouvoir se multiplier, détournant à leur avantage la machinerie de la cellule. Exemple : le virus de la rougeole.
♦ Les bactéries sont composées d’une seule cellule, capables de se reproduire par elle-mêmes, mais contrairement aux cellules humaines elles ne possèdent pas de noyaux. Exemple : le staphylocoque.
♦ Les champignons (ou levures) sont composés de plusieurs cellules avec un noyau. Il ne s’agit pas ici des champignons que l’on trouve dans les bois comestibles ou non, mais de champignons microscopiques dont certains sont pathogènes, responsables de mycoses. Exemple : candida albicans, responsable du muguet.
♦ Les protozoaires sont également formés d’une seule cellule avec un noyau, mais de structure plus complexe qu’une bactérie, avec un certain nombre d’accessoires (cils, flagelles …). Exemple : toxoplasma gondii responsable de la toxoplasmose dangereuse chez la femme enceinte car il est susceptible de créer des dégâts chez le fœtus.
♦Les vers sont des organismes multicellulaires avec un certain nombre d’organes différenciés  et notamment un appareil génital avec ponte d'oeufs pour la reproduction Exemple : le taenia (vers solitaire).

La présence de microbes chez le vivant ne veut pas dire qu’ils soient pathogènes. Le monde vivant est peuplé de milliards de micro-organismes dont certains jouent un rôle important dans les divers écosystèmes, notamment dans la qualité des sols.
L’être humain héberge 10 fois plus de bactéries qu’il ne possède de cellules colonisant divers parties du corps notamment la peau, la cavité buccale, l’appareil digestif,… Ces bactéries sont inoffensives et certaines jouent même un rôle important notamment dans les phénomènes de digestion. On insiste beaucoup aujourd’hui sur la qualité de la flore intestinale (ou microbiotope) pour une bonne santé, jouant par exemple un rôle dans les maladies chroniques à composante inflammatoire.
Il est un domaine où les micro-organismes assurent la survie de l’espèce humaine, c’est celui de l’alimentation : levure dans la fabrication du pain, bactéries lactiques dans la fabrication des fromages et des yaourts, processus de fermentation dans la fabrication du vin, de la bière (action de levures et bactéries).
Il faut signaler que le premier antibiotique qui a été découvert (en 1928), la pénicilline, a été isolé à partir d’un champignon (moisissure).

Mais malheureusement en contraste avec ce tableau idyllique, un certain nombre de micro-organisme vont se révéler être pathogènes pour l’homme dont suivent quelques exemples parmi les plus dangereux et les plus meurtriers :

  • Virus : la variole (actuellement éradiqué au niveau mondial grâce à la vaccination), la fièvre jaune (encore quelques foyers), la grippe, le virus Ebola, le
  • SIDA, le Codiv-19, ces trois derniers agents étant d’émergence récente.
  • Bactéries : la peste, fléau du Moyen âge, persistante dans quelques foyers, mais soignables avec des antibiotiques ; le choléra, encore vivace (accès à l’eau potable et problème d’assainissement), le typhus (rickettsies) avec encore quelques foyers, la tuberculose.
  • Champignons : l’aspergillose, maladie redoutable chez les patients atteints de maladies pulmonaires chroniques : asthme, silicose …
  • Protozoaires : paludisme (décès par atteintes diverses), amibiase (atteinte intestinale). Ces maladies font partie d’un regroupement large appelé parasitoses qui sévissent principalement dans les pays sous-développés.
  • Les vers : bilharziose (atteinte du système urinaire), filariose (responsable de cécité). Ces maladies font également partie des parasitoses touchant essentiellement les pays sous-développés.

Les tableaux des maladies professionnelles font une large part aux maladies infectieuses, sachant qu’un certain nombre de ces tableaux sont tombés en désuétude en raison des progrès de la prévention. On peut en avoir une vue exhaustive dans la brochure INRS ED 835 (guide d’accès) consultable sur internet.
Les modes de contamination de ces maladies se partagent entre deux grands groupes : les maladies contractées au contact d’animaux (zoonoses) et les maladies contractées au contact d’humains infectés, sans oublier les maladies dites tropicales dont le risque augmente actuellement en raison de la circulation des personnes dans le cadre du travail.
L’évaluation du nombre de maladies professionnelles reconnues n’est pas facile sachant que les statistiques concernent trois régimes et sont difficilement accessibles : le régime général de sécurité sociale, le régime agricole qui possède ses propres tableaux analogues aux tableaux du régime général et concernent majoritairement les zoonoses, la fonction publique hospitalière qui concerne majoritairement les maladies infectieuses contractées au contact d’humains infectés.

Dans ce qui suit nous allons nous intéresser à quelques maladies professionnelles infectieuses qui nous apparaissent d’actualité.

La leptospirose et la maladie de Lyme

Ces 2 maladies font partie de la même famille d’agents infectieux (des bactéries), les spirochètes, faisant l’objet du tableau des maladies professionnelles n°19 excluant la syphilis qui fait partie de la même famille, mais qui sera reprise dans la tableau n°76.

♦ La leptospirose est une zoonose et le principal réservoir sont les rongeurs et principalement les rats qui excrètent la bactérie dans leurs urines.
Sa présence est associée aux eaux douces de surface contaminées, exposant les personnes pratiquant les loisirs nautiques, mais aussi les professionnels en contact avec ces eaux d’autant plus s’il s’agit d’eaux souillées : ouvriers des égouts, des stations d’épuration, entretien des vois navigables, pisciculteurs, etc... Le tableau des maladies professionnelles énumère au moins 15 situations professionnelles à risque.
Les manifestations cliniques sont diverses selon la souche en question, mais la forme la plus grave est due à leptospira ictéro-haemorragiae, responsable notamment d’une atteinte hépatique (jaunisse) et de manifestations hémorragiques.
Si les antibiotiques sont efficaces contre cette maladie, il n’en demeure pas moins que la prévention passe par le port d’équipements de protection individuelle évitant le contact avec l’eau surtout si la victime est porteuse de plaies cutanées, porte d’entrée de la bactérie. Il existe un vaccin contre la leptospirose ictéro-hémorragique.

♦ La maladie de Lyme est également une zoonose transmise à l’homme à partir de petits mammifères (rongeurs,…) par l’intermédiaire de morsure de tiques. Elle est due à la bactérie borrelia. C’est une maladie émergente, mise en évidence en 1976.
Les tiques prolifèrent dans les zones boisées et les prairies pouvant mordre les promeneurs et les personnes ayant des activités de plein air, mais aussi les personnes ayant une activité professionnelle : bûcherons, métiers de la forêt, agriculteurs, employés des espaces verts,…
La maladie se développe en plusieurs phases : suite à la morsure du tique, apparaît une rougeur avec souvent un éclaircissement central. En l’absence de traitement antibiotique, passage à la phase secondaire avec des manifestations cliniques variés, notamment atteintes neurologiques et articulaires. À la phase tertiaire, en plus d’atteintes identiques à la phase secondaire, manifestations de douleurs variées, de maux de tête, de fatigue chronique, de troubles de la mémoire, de dépression.
La prévention consiste d’une part à sortir en forêt avec des équipements de protection (vêtements couvrants, chapeau, gants) et après la sortie à l’examen minutieux de la peau à la recherche de tiques qui s’y sont fixés qui seront alors enlevés avec précaution.

 

Les méthodes de diagnostic en pathologie infectieuse


eprouvetteSi un certain nombre de maladies infectieuses ont des symptômes bien caractérisés permettant de les identifier sans problème (exemple la rougeole, la varicelle …) dans d’autres cas, on est devant une association de symptômes (on parle de syndrome) et il difficile de prime abord de savoir quel est l’agent infectieux responsable. Il en est ainsi par exemple devant une fièvre, une infection respiratoire, une diarrhée …

Cette exigence d’identifier l’agent infectieux d’une façon précise, allant jusqu’à déterminer le type (souche), est affirmée dans pratiquement tous les tableaux de maladies professionnelles infectieuses.

Si l’identification des bactéries est pratiquée depuis longtemps en médecine (grâce au microscope), par contre l’identification des virus est plus problématique, mais elle profite aujourd’hui des avancées de ce qu’on appelle la biologie moléculaire, sachant que de plus en plus les nouvelles méthodes ont tendance à supplanter les anciennes pour l’ensemble des micro-organismes pathogènes.

Concernant les bactéries, des échantillons prélevés dans différentes zones de l’organisme (crachats, urine, selles, sang, etc ….) sont mis en culture dans un milieu approprié (pour avoir suffisamment de matériel à analyser) puis les colonies obtenues subissent diverses méthodes de coloration. L’examen au microscope optique permet alors d’identifier l’agent infectieux en cause.

Pour les parasitoses, l’examen au microscope optique de l’échantillon prélevé est souvent suffisant.
Les virus ne sont pas vus au microscope optique, seulement au microscope électronique dont l’utilisation reste limitée.

test pcrLa méthode par PCR (test RT PCR) est alors tout à fait indiquée. Elle consiste à partir d’un prélèvement (nasal ou salivaire pour le Covid-19) d’amplifier le matériel génétique du virus pour en disposer suffisamment afin de pouvoir faire une analyse de son programme génétique. Cette méthode a été mise en lumière par l’épidémie du Covid-19, mais est elle est utilisée depuis plusieurs années pour d’autres virus.
Une autre méthode d’approche d’un virus, plus rapide mais moins sensible, est le test antigénique qui consiste à repérer dans le prélèvement (également nasal) des protéines appartenant au virus dont la présence est signalée par l’intermédiaire d’anticorps spécifiques, leur rencontre donnant lieu à un processus colorimétrique.

Mais si on n’a pas réussi à identifier l’agent infectieux, il y a toujours la possibilité de savoir qu’il est ou était présent par la recherche des anticorps produits par l’organisme agressé. Il s’agit des tests sérologiques. L’analyse de l’évolution du taux d’anticorps et leur nature permet de savoir s’il s’agit d’une infection en cours ou récente ou d’une infection ancienne.

La légionellose

C’est une maladie pulmonaire grave due à une bactérie d’émergence récente (épidémie survenue en 1976 chez 182 participants d’un congrès de la Légion Américaine) qui se plait dans les eaux tièdes et peut proliférer dans les tours de refroidissement, les climatiseurs, les bains à remous, les canalisations d’eau chaude, …
D’une façon plus générale, il s’agit d’installations générant des aérosols qui, alors infectés, vont contaminer les victimes par voie pulmonaire.

Les cas les plus fréquents d’un point de vue professionnel surviennent lors d’utilisation de douches, mais la climatisation qui s’est beaucoup répandue dans les immeubles modernes reste un domaine critique.
Si la légionellose est une maladie à déclaration obligatoire, elle n’a toujours pas fait l’objet d’un tableau de maladie professionnelle et ce problème traîne depuis de nombreuses années. Comme il s’agit d’une maladie hors tableau, sa reconnaissance se heurte au seuil du taux d’IPP de 25 % qu’il faut atteindre pour que le dossier soit instruit.

La tuberculose

Ce fut un fléau au 19ème siècle et au début du 20ème, jusqu’à l’arrivée de traitements efficaces et du vaccin (BCG) mais la tuberculose tue encore chaque année dans le monde 1,8 millions de personnes. C’est une maladie des pays sous-développés, mais elle reste un problème dans les pays industrialisés notamment chez les populations à faible niveau de revenus et sans domicile fixe.
La tuberculose touche principalement le poumon, mais de nombreux organes peuvent être atteints. Le traitement consiste à l’administration d’antibiotiques spécifiques, mais l’apparition de souches résistantes complique le problème. La prévention réside notamment en la vaccination par le BCG, sachant que son efficacité est limitée.
La tuberculose professionnelle touche avant tout le personnel soignant et assimilé en contact avec les patients infectés. Le tableau des maladies professionnelles n°40 prend en compte les atteintes liées aux différentes souches de bacille tuberculeux avec un mention particulière pour la souche bovine touchant les métiers au contact d’animaux et les souches plus spécifiquement humaines touchant alors le personnel de soins et assimilé, de laboratoire, de service ou des services sociaux.

Les hépatites virales

On en connaît actuellement 5 liés à des virus différents, dénommés par des lettres : hépatites A, B, C, D, E. Elles différent par leur mode de transmission (féco-orale pour l’hépatite A et E, par le sang pour l’hépatite B et C).
Si les hépatites A et E guérissent assez facilement et ne deviennent jamais chroniques, par contre les hépatites B et C sont plus agressives avec risque de passage à la chronicité sous la forme d’une hépatite chronique active pouvant se compliquer d’une fibrose du foie (une cirrhose) et d’un cancer du foie.
Le tableau des maladies professionnelles n°45 prend en compte les 5 types d’hépatites en dissociant les travaux susceptibles de les provoquer. Pour l’hépatite A et E l’accent est mis sur le contact avec les eaux usées tandis que pour les hépatites B et C vont être concernés une multitude de professions dépassant largement le personnel de soins et assimilé : pompiers, policiers, personnel pénitentiaire, services de soins funéraires, éboueurs,…
La vaccination contre l’hépatite B est obligatoire pour le personnel soignant et assimilé : article L 3111-4 du Code de la santé publique, arrêté du 29 mars 2005. Par contre pour l’hépatite C, cela reste problématique car il n’y a pas de vaccin.

Agents infectieux contractés en milieu d’hospitalier

Le tableau n°76 énumère un certain nombre d’agents infectieux responsables de pathologies chez le personnel de soins et assimilé : staphylocoque, pseudomonas aeruginosa, entérobactéries, pneumocoque, streptocoque bêta-hémolytique, méningocoque, fièvres typhoïde et paratyphoïde A et B, dysenterie bacillaire (shigelle), choléra, fièvres hémorragiques (Ebola …), gonocoque, syphilis, virus de l’herpès (varicelle et zona), gale.

Le SIDA n’est pas pris en compte, mais il existe une procédure spéciale pour les soignants se piquant avec une aiguille de seringue  et notamment désinfection, déclaration d’accident du travail et suivi sérologique. Cette procédure entre dans le cadre plus général d’une exposition accidentelle au sang et concernent aussi les hépatites B et C.

L’épidémie de Covid-19 touche un certain nombre de professionnels et notamment le personnel soignant et assimilé. Un nouveau tableau a été créé (tableau n°100). Nous conseillons au lecteur de se reporter à l’article « Covid-19 » paru dans le Travailleur en septembre 2020  pour de plus amples informations sur les possibilités de reconnaissance en maladie professionnelle.

La grippe, infection banalisée mais cependant meurtrière, pourrait faire à l’avenir l’objet de la même attention que l’infection au coronavirus, notamment avec sa prise en compte comme pathologie professionnelle.

Conclusion

De nombreux professionnels sont exposés au risque infectieux. La survenue d’infections chez les personnels exposés ne doit pas être banalisée. Ces infections doivent être prises en compte comme pathologie professionnelle avec l’exigence de disposer de statistiques fiables pour en mesurer l’ampleur permettant alors d’appliquer une réelle prévention.

Dr. L. PRIVET