Laurent Berger : « N'attendons pas que ça explose ! » (Journaux du groupe EBRA / LUNDI 18 JANVIER 2021)

Publié le 19/01/2021

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, dit son inquiétude face à la fatigue psychologique des salariés et à la forte montée du chômage. À la veille d’une mobilisation des syndicats, il redit son opposition résolue au projet « Hercule » de restructuration d’EDF.

Le gouvernement maintiendra les aides aux entreprises « aussi longtemps que nécessaire ». De quoi limiter les dégâts ?

« C'est indispensable, le soutien aux entreprises et aux travailleurs doit perdurer. Mais il y a des trous dans la raquette, notamment sur les jeunes, et le soutien à la consommation des ménages moyens et modestes. »

Vous connaissez la réponse du gouvernement : le pouvoir d'achat n'a quasiment pas baissé...

« Il faut se méfier des moyennes : quand vous avez un salaire de 1 800 EUR et que vous en perdez 16 % en chômage partiel, ça devient très difficile de boucler les fins de mois... .../......, il est urgent de commencer à préparer l'après. L'économie est sous perfusion, et quand ça va s'arrêter, on va constater les dégâts économiques, sociaux, psychologiques. »

Quels dégâts psychologiques ?

« Notre pays est fatigué, las,.../...... Il faudrait un comité d'experts en sciences sociales pour réfléchir sur la façon d'accompagner la population dans cette période très éprouvante pour tous. »

Que faire, par exemple, dans les entreprises ?

« Dans les entreprises, il faut mobiliser les équipes RH et les représentants du personnel pour multiplier les occasions de lien,.../.... mettre à disposition une écoute psychologique des salariés... C'est vital : il y a vraiment un risque de délitement du lien social et d'effondrement psychologique d'une part de la population. »

Venons-en aux dégâts sociaux : les plans se multiplient, de Michelin à AccorInvest...

« Sans parler de toutes ces petites et moyennes entreprises qui diminuent leurs effectifs ! Il faut distinguer celles en grosse difficulté à cause du Covid, comme dans la restauration,.../..... »

Michelin dit avoir déjà attendu pour annoncer ce plan...

« .../....: pas de licenciements secs, pas de fermeture de site, réindustrialisation sur le site ? Chiche ! Mais si Michelin trahit sa parole, ça sera terrible. .../..... les entreprises qui vont en profiter pour fermer des sites, ou qui vont se séparer de salariés, pas parce qu'elles sont en difficulté, mais parce que la crise leur a révélé des gains possibles de productivité...

Je crains vraiment la montée d'un chômage très fort. .../.... on ne pourra pas passer du jour au lendemain d'une économie sous perfusion de l'État à une logique de restriction budgétaire, avec des réformes comme l'assurance chômage. »

Vous mobilisez mardi contre la restructuration d'EDF. Elle est nécessaire, affirme le ministre de l'Économie. Pourquoi vous y opposer ?

« Parce que vouloir séparer la production de la distribution, cela revient à démanteler EDF. C'est dangereux d'un point de vue économique et social, et ce n'est pas opportun au moment où l'on a besoin de cet opérateur dans la transition énergétique. Un projet qui est contesté par l'ensemble des organisations syndicales de l'entreprise, qui mobilise les salariés, qui n'a d'autre motivation que la recherche de cash, il faut l'abandonner ! Comment le gouvernement peut-il, sans aucune discussion, d'un côté démanteler EDF, et de l'autre refuser le rapprochement de Carrefour avec Couche-Tard ? Nous avons devant nous plusieurs années très difficiles. Soit on anticipe en cherchant des solutions ensemble, soit on attend que ça explose, et là, ça sera terrible, ça emportera tout. »