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Trente ans après, les salariés Munch se souviennent...

Publié le 06/08/2012
Occupation d'usine pendant 31 mois, kidnapping raté du repreneur allemand, évasion de celui-ci de la maison d'arrêt de Sarreguemines... Dans les années 80, la saga Munch a véritablement tenu en haleine le Bassin houiller.
Trente ans après, les salariés Munch se souviennent...
Trente ans après, les salariés Munch se souviennent...
Occupation d'usine pendant 31 mois, kidnapping raté du repreneur allemand, évasion de celui-ci de la maison d'arrêt de Sarreguemines... Dans les années 80, la saga Munch a véritablement tenu en haleine le Bassin houiller.

© Le Républicain Lorrain, Dimanche le 05 Aout 2012 / FOR /

 

 

Le combat mené par les ex-salariés des établissements Munch a duré plusieurs années. Une véritable saga aux multiples rebondissements qui a tenu en haleine le Bassin houiller dans les années 1980. Photo DR

Impossible d'oublier les salariés de l'usine Munch. Même 30 ans après les faits, les Hombourgeois ne peuvent effacer de leur mémoire la saga qui a fait trembler leur commune, et plus largement le Bassin houiller, au début des années 80.

A l'origine, une société en liquidation. Les établissements Munch, spécialisés dans la métallurgie de pointe, vivent des années difficiles. En 1980, Gilbert et René Munch, deux frères, décident de se séparer de l'entreprise familiale, installée sur deux sites : en bordure de la RN3 à Hombourg-Haut, et à Frouard. Une société de travail intérimaire, la SARTEC se présente alors pour reprendre les usines. Sauf que si celle-ci se montre intéressée par le travail réalisé à Frouard, le site de Hombourg-Haut, lui, ne remporte pas les suffrages. Les ouvriers s'opposent alors au projet de reprise. S'ensuivront 31 mois d'occupation de l'usine... « À l'époque, on réalisait des charpentes pour les plateformes nucléaires, des abris souterrains pour les lancements de fusée. Nos machines étaient modernes. L'entreprise regroupait des gens compétents. Nous savions que la société était viable. On ne pouvait pas se résoudre à accepter le plan proposé par une entreprise qui, on le savait, ne voulait pas de nous », commente Norbert Klein, leader CFDT de la fronde Munch, domicilié aujourd'hui à Boulay. « On avait une usine en parfait état, avec des outils de pointe », confirme Salvatore Chillari, autre fer de lance de la mobilisation.

Rester mobilisés

Le 29 septembre 1980, les 'Munch' prennent donc possession de leur usine sans se douter qu'ils s'embarquent dans un véritable feuilleton, aux multiples rebondissements, qui durera plusieurs années. « On a beaucoup douté pendant ces 31 mois d'occupation. On a connu notre lot de désillusions aussi. A chaque fois qu'un repreneur se présentait, on y croyait tous. Mais rien ne se concrétisait jamais », raconte Norbert Klein.

La vie s'organise au sein de l'usine. Premier objectif : occuper les esprits. « Cette bataille-là, si elle a tenu aussi longtemps, c'est grâce à son aspect collectif. Il fallait trouver une mission pour chacun. Vérification du parc matériel, entretien des machines. Nous avions acheté des poules que nous élevions au sein de l'usine pour avoir notre propre production d'oeufs. On avait aussi des cochons. Il ne fallait surtout pas laisser l'ennui s'installer. Et l'épouse d'un collègue venait tous les jours nous faire à manger ! ».

Pour tenir le coup, les ex-salariés organisent régulièrement des portes ouvertes, bloquent la rue Nationale pour distribuer des tracts ou encore pour solliciter les automobilistes à souscrire des bons de solidarité. Car après plusieurs mois sans travail, les Munch touchent à peine 40 % de leur dernier salaire. Pas toujours assez pour faire vivre les familles. Si bien qu'en septembre 1982, ils ne sont plus que 53 à poursuivre la lutte. « On continuait à chercher un moyen de s'en sortir. On faisait toujours parler de nous. On a tout essayé à l'époque. Il n'y a pas une solution qu'on ait écartée. Après plus d'un an d'occupation, on ne voulait plus rien lâcher. On était convaincu qu'on devait aller jusqu'au bout. »

Tayeb Khaldi, lui, se souvient de l'esprit de solidarité qui régnait alors entre les ouvriers. « Entre nous, on se serrait les coudes. Mais ce qui m'a marqué, c'est le comportement des habitants de Hombourg-Haut. Ils ne nous soutenaient pas dans notre combat. Ils rejetaient la faute sur le syndicat et le personnel de l'entreprise. Mais parce qu'ils ne connaissaient pas toute l'histoire. Pour eux, Munch appartenait au village, c'était une entreprise familiale. »

Un industriel allemand pour reprendre l'affaire

Finalement, en février 1983, un industriel allemand, spécialisé dans la construction de hangars métalliques, se présente. Kurt Hein reprend vingt salariés et promet des embauches par palier pour les ouvriers restants. Un nouveau nom est donné aux établissements Munch : C.M.C pour Constructions Métalliques et Commerces.

« Les promesses n'ont jamais été tenues. En août de l'année suivante, le patron a profité de la pause annuelle de l'usine, dans le cadre des grandes vacances, pour rapatrier les machines en Allemagne. A notre retour, on a trouvé les portes de l'entreprise soudées ».

Rebelote, les ouvriers tentent de réoccuper les locaux. Mais le coeur n'y est plus. Après un 'siège' de 2 ans et demi qui leur avait permis de conserver leur outil de travail en état de marche, les ex-Munch n'ont plus rien. « Il n'y avait plus rien à sauver. Les machines avaient été démontées ou sabotées. On était totalement démunis. Et Kurt Hein était parti sans nous payer notre dernier mois de salaire. »

Deux mois plus tard, l'industriel est convoqué à la direction départementale du travail à Metz. Ce qui donne lieu à un nouvel épisode rocambolesque de la saga Munch. « Quand on a su qu'il venait dans la région, on s'est dit qu'on allait tenter un truc énorme. Le but était de l'empêcher de repartir en Allemagne. On a prévenu tous les médias pour leur dire qu'on allait kidnapper le patron. Le jour venu, les journalistes étaient cachés dans les commerces aux alentours. Quand M. Hein est sorti de son rendez-vous, on avait déjà dégonflé les pneus de sa voiture. Il a quand même réussi à s'échapper pour trouver refuge dans une brigade de CRS. » Le soir même, les journaux télévisés diffusent les images du 'rapt raté'.

L'Allemand, lui, passe la nuit en prison. « On avait eu ce qu'on voulait. Qu'il soit inculpé pour abus de biens sociaux et banqueroute frauduleuse. »

Incarcéré... il s'évade !

Incarcéré en septembre 1984 à la maison d'arrêt de Sarreguemines, Kurt Hein ne passera au final que quatre mois à l'ombre... avant de s'évader de manière spectaculaire ! Un scénario digne d'un roman policier. « Il a scié les barreaux avant de dérouler une corde faite à partir de draps. Pour nous, c'était l'écoeurement le plus total. »

Les uns derrière les autres, les ex-Munch tournent la page. Chacun retrouve un travail ailleurs. « Dans le coin, on n'avait plus aucune chance d'être embauché. On avait trop parlé de nous. Au fur et à mesure, on s'est tous perdu de vue. On avait peut-être besoin de ça pour tirer un trait sur tout ce qu'on avait traversé », avance Norbert Klein.

Salvatore Chillari, lui, est devenu électricien. « Je ne voulais pas quitter la région et tous les CV que j'ai envoyés dans la région n'ont pas abouti. On était catalogué. C'était se reconvertir ou partir. »

« Ce qu'on a vécu ensemble, cela nous a énormément apporté d'un point de vue humain. Ça a modifié nos comportements. Mais aujourd'hui, est-ce qu'on le referait ? Je ne sais pas », reconnaît Norbert Klein.

M. C.