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Directive relative aux conditions de travail dans le cadre du travail de plateforme : en route vers la transposition

Publié le 23/04/2024

La directive relative à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques (TPN) devrait être officiellement adoptée par le Parlement européen ce jeudi 25 avril. Quels en sont les apports et quelles sont les évolutions autour de l’épineuse question du statut des travailleurs de plateforme ? Nous vous présentons ici les principales dispositions de la directive.

La présomption de salariat et l’encadrement du management algorithmique dans l’économie de plateforme restent au cœur de la directive. Dans ces deux volets, plusieurs droits collectifs sont reconnus (information-consultation, expertise, communication, représentation).

Par ailleurs, si la majorité des droits consacrés le sont au profit des « travailleurs de plateforme » (c’est-à-dire, au sens de la directive, les travailleurs sous statut salarié), certains droits ont également vocation à bénéficier à toutes les « personnes exécutant un travail via une plateforme » (donc y compris aux travailleurs indépendants).

La présomption de salariat et les moyens de sa mise en œuvre

Le texte prévoit une obligation pour les Etats-membres de créer une présomption de salariat au bénéfice des TPN. Alors que les débats s’étaient focalisés jusqu’à présent sur le nombre de critères à remplir pour que la présomption s’applique (la CES, comme le Parlement demandant leur suppression), le texte finalement adopté n’en comporte aucun.

Les Etats-membres devront mettre en place des procédures appropriées pour déterminer le statut professionnel, tout en respectant le cadre suivant (articles 4 et 5) :

  • la présomption s’applique lorsque les faits témoignent d’un contrôle et d’une direction sur le travailleur ;
  • le statut professionnel du travailleur dépend des faits, indépendamment de la qualification contractuelle donnée par les parties à la relation ;
  • la présomption doit respecter les droits nationaux en vigueur ainsi que la jurisprudence de la CJUE ;
  • la plateforme doit pouvoir renverser la présomption par la preuve de l’absence de relation de travail (la présomption est dite simple ou réfragable) ;
  • le mécanisme adopté par les Etats-membres doit constituer une « facilitation procédurale en faveur des personnes exécutant un travail via une plateforme” ; autrement dit la présomption ne doit pas avoir “pour effet d’alourdir la charge des exigences pesant sur les personnes exécutant un travail via une plateforme, ou sur leurs représentants » (article 5) ;
  • les Etats membres devront prévoir des systèmes appropriés, comme la responsabilité solidaire, afin que les TPN passant par des intermédiaires (par exemple dans les chaînes de sous-traitance) bénéficient du même niveau de protection que ceux exécutant le travail directement via la plateforme (article 3), ce qui est une vraie avancée ;
  • les travailleurs, comme leurs représentants, peuvent agir en justice.

Si la directive ne rend pas obligatoire l’application de la présomption dans les procédures fiscales, pénales et sociales, elle n’interdit pas aux Etats-membres de le faire. Aussi, pour la CFDT, lors de la transposition, il serait souhaitable de la rendre applicable dans les procédures sociales et pénales (ex. l’affaire Deliveroo).

L’encadrement du management algorithmique pour tous les TPN

Moins médiatisées, les règles encadrant le management algorithmique sont pourtant novatrices et importantes à au moins deux titres. D’abord, parce qu’une partie d’entre elles s’applique à toutes les personnes exécutant un travail via une plateforme, donc y compris aux travailleurs indépendants, et ce dès la période de recrutement. Ensuite et surtout parce que cet encadrement de l’usage des algorithmes au travail de plateforme pourrait servir de modèle pour un encadrement plus général de l’utilisation des algorithmes dans les relations de travail.

Ainsi, pour la CFDT il faudra veiller à ce que la transposition ne crée pas de disparité injustifiée entre les droits accordés aux travailleurs de plateformes qui sont salariés et ceux des salariés de l’économie traditionnelle.

Plus précisément, le texte va plus loin que le RGPD en ce qu’il prévoit pour les travailleurs indépendants, comme pour les travailleurs salariés des plateformes :

  • l’interdiction de collecter certaines données à caractère personnel comme l’état émotionnel du travailleur, ses conversations privées, etc. (article 7) ;
  • l’obligation pour les plateformes d’informer les travailleurs, leurs représentants et les autorités de l’utilisation de systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés concernant leur recrutement, leurs conditions de travail et leur rémunération. Cette information doit être fournie sous une forme transparente, intelligible et facilement accessible, dans un langage clair et simple (article 9) ;
  • une intervention humaine obligatoire dans les décisions de limitation, de suspension ou de résiliation de la relation contractuelle ou du compte d’une personne exécutant un travail via une plateforme, quel que soit son statut, et dans toute autre décision entrainant un préjudice équivalent, ainsi que dans le contrôle de l’impact des décisions automatisées sur les personnes exécutant un travail via une plateforme et des risques de discrimination. Les personnes chargées de ce contrôle et de ces évaluations doivent être protégées contre les licenciements ainsi que contre les mesures disciplinaires et autres traitements défavorables (article 10) ;
  • un droit de recours auprès d’un humain est également prévu. Toute personne exécutant un travail via une plateforme doit pouvoir obtenir de la plateforme une explication concernant les décisions prises ou appuyées par un système de décision automatisé. Lorsque ces décisions visent à limiter, suspendre ou résilier son compte, à lui refuser sa rémunération ou à modifier la relation contractuelle, la motivation écrite de la décision doit lui être communiquée au plus tard le jour de la décision. Les travailleurs et leurs représentants peuvent demander un réexamen de ces décisions (article 11).

Enfin, concernant les travailleurs salariés de plateforme, des droits spécifiques sont prévus afin de protéger leur santé physique et mentale. Ainsi, une évaluation des risques que présentent les systèmes de surveillance et de prise de décision automatisés en matière d’accident du travail et de risques psycho-sociaux doit-elle être réalisée. De plus, les systèmes exerçant une pression indue sur la santé physique et mentale des travailleurs de plateforme doivent être bannis et des mesures de prévention et de protection appropriées doivent être mises en place, en particulier contre la violence et le harcèlement, par exemple via des canaux de signalement efficaces (article 12).

Les droits collectifs et les droits des représentants

  • Les droits conférés aux représentants des travailleurs de plateforme (salariés)

Outre les droits issus des directives de droit commun en matière d’information-consultation, une information-consultation spécifique des représentants des TPN (salariés) en cas d’introduction d’un système de surveillance ou de prise de décision automatisés doit être mise en place. Par ailleurs, les représentants des travailleurs peuvent être assistés par un expert en vue de l’information-consultation et, lorsque la plateforme compte plus de 250 travailleurs dans un Etat-membre, cette expertise doit être financée par la plateforme, sous réserve que les frais soient proportionnés (article 13).

En l’absence de représentants des travailleurs, les Etats-membres doivent veiller à ce que les TPN soient directement informés.

  • Les droits conférés aux représentants de l’ensemble des travailleurs (y compris indépendants)

Les organisations ayant un intérêt légitime, reconnu par le droit national, à représenter ces travailleurs peuvent engager toute procédure judiciaire ou administrative visant à faire respecter les droits et obligations découlant de la directive (article 19).

Les plateformes devront mettre en place des canaux de communication numériques permettant aux travailleurs de communiquer de manière sécurisée et confidentielle avec leurs représentants, et de se contacter mutuellement entre travailleurs – une disposition très positive compte tenu de la difficulté des organisations syndicales à communiquer avec ces travailleurs isolés (article 20).

Les suites: délai et modalités de transposition

La directive devrait être adoptée en l’état par le Parlement européen le 25 avril prochain, puis formellement adoptée par le Conseil. Les Etats-membres auront dès lors 2 ans pour la transposer en droit interne.

Les Etats-membres peuvent légiférer ou confier aux partenaires sociaux (à leur demande) la mise en œuvre de la directive (article 29).

Ainsi, la directive réaffirme-elle le rôle central des représentants et des syndicats dans la protection des travailleurs – salariés et indépendants.