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Conditions de travail : peut-on venir travailler habillé comme on veut ?

Publié le 28/06/2017

L’information a tourné en boucle sur les réseaux sociaux : des conducteurs du réseau nantais de bus, militants CFDT, ont revendiqué le droit de porter le short ou le pantacourt en période de canicule, ce que leur entreprise leur refuse depuis 2013. D’où l’idée qui leur est venue d’endosser les atours de leurs collègues du sexe féminin et de venir travailler en jupe la semaine dernière... Stratégie qui s'est révélée efficace, puisqu’ils ont obtenu gain de cause et se verront à l’avenir proposer des shorts/pantacourts parmi les tenues de travail ! L’occasion pour nous de faire un petit point sur la « liberté de se vêtir » en entreprise.

Peut-on s’habiller comme on le souhaite pour travailler ? Si oui, quelles sont les limites de cette liberté ? Et inversement, lorsque l’employeur peut imposer une tenue, quelles sont les exceptions à ce droit ?

  • La liberté de se vêtir est une liberté protégée, pas une « liberté fondamentale »

La liberté de se vêtir à sa guise n’est expressément reconnue par aucun texte. Cependant, en tant que moyen d’expression de la personnalité de chacun, elle  fait indéniablement partie des droits de la personne, protégés par l’article L.1121-1 du Code du travail. Au-delà de la protection de ces droits, ce texte permet aussi d’y apporter des restrictions (V. ci-dessous).

D’autant plus que, dans la célèbre affaire du bermuda (1), saisie par un salarié laborantin qui revendiquait le droit de venir travailler en bermuda sous sa blouse en raison de la chaleur, alors que l’employeur  lui demandait de porter un pantalon, la Cour de cassation n’a pas considéré que cette liberté était une « liberté fondamentale »...

Le fait de ne pas qualifier ce droit de liberté fondamentale permet non seulement de considérer que le licenciement, même injustifié, ne constitue pas un trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés, mais aussi de ne pas encourir la nullité du licenciement en cas de restriction disproportionnée ou injustifiée. Toute mesure prononcée en violation de cette liberté (sanction ou licenciement) sera sanctionnée selon les règles de droit commun (absence de cause réelle et sérieuse s’agissant d’un licenciement) et non pas par la nullité.

  • La tenue vestimentaire ne doit pas créer de trouble dans l’entreprise

La liberté de se vêtir est tout d’abord limitée par les conséquences que son plein exercice peut avoir pour l’entreprise, lorsque celles-ci sont importantes et gênent le travail: il s’agit du trouble caractérisé que la tenue peut créer au sein de l’entreprise.

L’appréciation du « trouble caractérisé au sein de l’entreprise » est relativement dépendante de l’évolution générale des mœurs, puisque le trouble engendré dépend des mœurs ambiantes.

A titre d’exemple, qui pourrait être repris actuellement, par le passé, le licenciement d’une salariée étant venue travailler seins nus sous un chemisier transparent a été jugé justifié en raison du trouble généré parmi ses collègues...(2).

  • Les restrictions à la liberté de se vêtir dans le règlement intérieur

Aux termes de l’article L.1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Par conséquent, l’employeur peut apporter des restrictions à l’exercice par les salariés de leurs libertés (même fondamentales) aux deux conditions suivantes.

-          Ces restrictions doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir.

-          Ces restrictions doivent être proportionnées au but recherché.

Cette dernière condition (proportionnalité)  implique que l’employeur ait envisagé d’autres mesures alternatives moins attentatoires à la liberté et qu’aucune ne permette d’atteindre le résultat souhaité.

De manière générale, les juges admettent relativement facilement que l’employeur apporte des restrictions à la liberté de se vêtir, dès lors que les salariés sont en contact avec la clientèle (3).

Ainsi, le licenciement d’un chauffeur routier en raison de sa nouvelle coupe de cheveux a-t-il été jugé justifié dans la mesure où la clientèle s’était plainte et où le salarié avait refusé d’obtempérer aux demandes insistantes de son employeur (4). Dans le même ordre d’idées, le licenciement d’une salariée d’une agence immobilière venant en jogging a été considéré comme justifié.

L’employeur doit toutefois respecter les principes d’adéquation à la tâche, de justification et de proportionnalité au but recherché, en particulier lorsqu’il impose une tenue par le biais du règlement intérieur, par exemple pour des raisons d’hygiène et de sécurité (5).

Cela est par exemple le cas pour certaines professions dans le secteur médical, le secteur agro-alimentaire, la restauration, mais aussi de la construction.

Depuis la loi Travail du 8 août 2016, le règlement intérieur peut en outre restreindre le droit de manifester ses convictions et d' inscrire le principe de neutralité dans le règlement intérieur. Dans ce cas, il faut néanmoins que ces restrictions soient « justifiées par l’exercice d’autres libertés  et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise » et « proportionnées au but recherché » (6).

Outre, le respect obligatoire de ces principes pour imposer une tenue de travail, le règlement intérieur doit, par ailleurs, faire l’objet d’une consultation des représentants du personnel : CE, à défaut DP, et dans les matières relevant de sa compétence CHSCT (7).

Enfin, les restrictions à la liberté de se vêtir peuvent parfois flirter avec la discrimination et être susceptibles d’invalidation pour cette raison, soit au moment du contrôle du règlement intérieur effectué par l’inspection du travail, soit en cas de litige à la suite d’une sanction prononcée par l’employeur.

  • Les restrictions ne doivent être ni discriminatoires, ni risquées pour  la santé des salariés

L’employeur peut relativement facilement se prévaloir du contact avec la clientèle pour limiter la liberté de se vêtir de ses salarié(e)s.

Toutefois, les sanctions (pouvant aller jusqu’au licenciement) en réaction au port d’une tenue, voire l’interdiction du port de certains signes (en particulier religieux) par l’inscription du principe de neutralité dans le règlement intérieur, sont susceptibles de constituer des discriminations qui ne peuvent figurer dans le règlement intérieur (8).

Ainsi, les signes religieux sont-ils aussi liés à l'origine, ainsi qu’à l’expression de la liberté religieuse de chacun.  La restriction de leur port dans le règlement intérieur doit donc être d’autant plus justifiée et proportionnée (sur cet aspect, voir "le point sur la liberté religieuse en entreprise"). Dans un arrêt récent, la CJUE a considéré que la volonté d’afficher une certaine neutralité vis-à-vis de la clientèle peut être légitime à condition que cette politique soit poursuivie de manière cohérente et systématique et que les mesures soient strictement nécessaires au but poursuivi. De plus, avant tout licenciement, l’employeur devra envisager la possibilité de proposer un poste sans rapport avec la clientèle (9).

Plus généralement, la tenue vestimentaire peut être rattachée à l’apparence physique, au sexe, mais également aux mœurs. Si la restriction n’est pas suffisamment justifiée et proportionnée, elle peut révéler une discrimination.

De simples considérations esthétiques sont donc insuffisantes pour imposer des restrictions vestimentaires. Par exemple, l’employeur ne peut interdire à des salariés sans contact avec la clientèle le port de jeans et baskets ni leur imposer le port d’une cravate ou d’un uniforme (10).

Par ailleurs, si nos conducteurs de bus avaient été sanctionnés pour avoir porté les jupes réglementaires au lieu des pantalons réglementaires n’aurait-on pas pu considérer qu’il y avait là une discrimination en raison du sexe, voire des mœurs ? Ainsi par exemple, le licenciement d’un serveur en raison du port d’une boucle d’oreille est discriminatoire dès lors que l’employeur a fait référence au sexe de l’intéressé pour considérer  ce port inopportun (11).

Enfin, il faut rappeler que la protection de la santé des salariés doit également être prise en compte. D’ailleurs, des consignes particulières existent dans certains secteurs pour les périodes de grand froid et de canicule (exemple du bâtiment) et il n’est pas absurde de penser que ceci devrait être généralisé (en concertation avec les représentants du personnel) afin que les entreprises prennent en compte les évolutions climatiques dans les conditions de travail des salariés.

 

(1)   Cass.soc.28.05.03, n°02-40273.

(2)   CA Versailles, 21.09.92, Syndicat du commerce c. Carrefour.

(3)   Cass.soc.12.11.08, n°07-42220.

(4)   CA Reims, 06.03.96  Société transports Trigallez c. Fondu.

(5)   Article L.1321-1 1° du C.trav.

(6)   Article L.1321-2-1 du C.trav.

(7)   Article L.1321-4 du C.trav.

(8)   Articles L.1321-3 3°du C.trav.

(9)   CJUE 14.03.17, C-157/15.

(10) Cass.soc.03.06.2009, n°08-40346 ; cass.soc.19.05.98, n°96-41123.

(11) Cass.soc.11.01.2012, n°10-28213.