Les atteintes à la santé liées au travail (Le Travailleur n°151 / Juin 2021)

Publié le 08/07/2021

Ramazzini, médecin italien précurseur en la matière, préconisait en 1700, dans la préface de son traité sur les maladies des artisans, que devant toute pathologie, il fallait s’enquérir du métier du malade.

Cette affirmation reste d’actualité et l’on doit s’interroger sur l’origine professionnelle de toute maladie qui survient chez un.e salarié.e ou ex-salarié.e, aussi bien pour que la victime bénéficie d’une juste réparation du préjudice subi que pour mettre en œuvre une réelle prévention.

PROPOS PRÉLIMINAIRES

Les accidents du travail ont diminué ces dernières décennies, mais ils restent un sujet préoccupant non pas tant sur le nombre (de l’ordre de 650 000 accidents du travail par an chez les salariés du privé) que sur la production de handicap : plus de 35 000 donnent lieu à des séquelles. Le cumul sur une soixantaine d’années (actifs et retraités) donne le chiffre impressionnant de 2 100 000 victimes handicapées par le travail.

La manutention de charges lourdes reste la principale cause (50 %) suivie par les chutes de hauteur ou de plain-pied (28 %).

S’il peut exister quelques difficultés dans la reconnaissance notamment dans la preuve de la matérialité de l’accident, nous avons une bonne visibilité du nombre globale, puisque 94 % des accidents du travail font l’objet d’une décision favorable.
En fait, le problème réside surtout dans l’appréciation des séquelles, les médecins conseils ayant tendance à tirer les taux d’IPP (Incapacité Partielle Permanente) vers le bas et invoquer beaucoup trop souvent la notion d’état antérieur.

Par contre, on constate une mauvaise visibilité des maladies professionnelles.

Le dispositif de reconnaissance principal repose sur l’existence de tableaux qui énoncent les conditions à satisfaire pour bénéficier de la présomption d’origine et donc être reconnu en maladie professionnelle.
Il est important de connaître les tableaux des maladies professionnelles et le lecteur peut se reporter à un outil indispensable, édité par l’INRS (ED 835 disponible sur internet) qui est un guide d’accès par pathologies et par agents en cause.

Pus de 50 000 maladies professionnelles ont été reconnues en 2019 dans le cadre des tableaux, une grande majorité étant constituée par les troubles musculo-squelettiques. Mais on est loin du compte aussi bien dans les déclarations, les victimes hésitant à déclarer par peur de perdre leur emploi, que dans le taux de reconnaissance (taux d’acceptation de l’ordre de 61 %).

Il existe par ailleurs un système complémentaire de reconnaissance entrant en jeu lorsque certaines conditions des tableaux ne sont pas remplies ou quand la maladie est hors tableau. Nous ne sommes plus dans le cadre de la présomption d’origine, mais il faut apporter la preuve d’un lien direct dans le 1er cas et d’un lien direct et essentiel dans le 2ème cas.

La caractérisation de ce lien appartient au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) auquel le dossier est soumis pour avis. Ce système est loin d’être performant, car les CRRMP sont dans leur ensemble assez frileux. Par ailleurs pour les maladies hors tableaux, il existe un verrou qui laisse au bord du chemin un certain nombre d’atteintes d’origine professionnelle, dans la mesure où la victime doit justifier, pour que son dossier soit instruit, d’un taux d’IPP prévisible d’au moins 25 %.

LES ATTEINTES MUSCULO-SQUELETTIQUES

On regroupe sous ce vocable les troubles musculo-squelettiques dues aux gestes répétitifs qui touchent préférentiellement les membres supérieurs, mais également les atteintes du dos.
L’essentiel de ces atteintes vont toucher les tendons qui attachent les muscles aux pièces osseuses (on parle de tendinite), mais ils englobent aussi les syndromes canalaires, constitués par la compression d’un nerf dans un passage étroit.
Les atteintes les plus importantes en nombre sont les troubles musculo-squelettiques du membre supérieur et notamment la tendinopathie de la coiffe des rotateurs, l’épicondylite et le syndrome du canal carpien. Les membres inférieurs ne sont pas épargnés, le genou étant une cible principale.

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L’épaule est une articulation particulièrement complexe et participent à sa mobilisation des muscles appelés rotateurs qui partent de l’omoplate et dont les tendons se rejoignent pour se fixer sur l’humérus formant une sorte de coiffe.

Suite à des gestes répétitifs impliquant une élévation du membre supérieur, les tendons vont souffrir jusqu’à se rompre. L’expression de cette souffrance est la douleur à laquelle peut s’associer une certaine impotence fonctionnelle. La plupart du temps cette pathologie va entraîner une intervention chirurgicale dont les résultats ne sont pas forcément à la hauteur de ce qu’on attendait.
Le tableau n°57, partie A, dans sa version précédente permettait assez facilement la reconnaissance en maladie professionnelle. Mais sous la pression du patronat il a été modifié dans un sens restrictif aussi bien dans la caractérisation de la maladie que l’énoncé des travaux responsables, ce qui a eu pour conséquence de faire chuter de façon considérable le nombre de pathologies de l’épaule reconnues. Si une victime est reconnue, elle n’est pas au bout de ses peines, car les médecins conseils et les experts ont une fâcheuse tendance à minimiser les taux d’IPP en prenant des libertés par rapport aux prescriptions du barème AT. Dès lors l’attribution du taux d’IPP pour les épaules donne lieu à de nombreux contentieux. 

♦ L’épicondylite qui est une tendinite qui touche plusieurs tendons de muscles qui s’insèrent sur l’épicondyle, tubérosité située en bas de l’humérus à la partie externe, dont deux muscles impliqués dans l’extension de la main et des doigts. Elle peut être très invalidante, mais son indemnisation est, en général, plutôt ridicule.

♦ Le syndrome du canal carpien est le trouble musculo-squelettique emblématique lié aux gestes répétitifs de la main. Les os du carpe forme une gouttière fermée en avant par un ligament. Les tendons des muscles fléchisseurs des doigts, au nombre de 9 et coulissant dans des gaines, passent dans ce canal.
Ils sont accompagnés du nerf médian qui va souffrir principalement lors de l’utilisation intensive de la main qui provoque une inflammation des tendons et de leur gaines (= ténosynovite). La douleur très caractéristique, touche les 3 premiers doigts ce qui permet de poser le diagnostic qui est confirmé à l’électromyogramme. La mise en évidence d’une atteinte motrice conduit alors à une intervention chirurgicale qui consiste à une section du ligament permettant de desserrer l’étau autour du nerf médian.

♦ Le genou est fortement sollicité dans le travail manuel avec un risque à long terme du développement d’une arthrose, qui ne figure pas dans les tableaux des maladies professionnelles.
Une modification récente du tableau n°79 permet sa prise en compte si elle accompagne une lésion des ménisques, sous réserve de justifier principalement de situations répétitives d’agenouillement ou d’accroupissement. Mais cette restriction peut être levée par le passage au CRRMP en alinéa 6.

♦ Les atteintes du dos sont principalement les conséquences d’accidents de travail, et notamment la manutention manuelle de charges lourdes. La lombalgie qui est une douleur de la région lombaire, est l’expression de plusieurs maladies dont la sciatique par hernie discale qui est reconnue en maladie professionnelle (tableaux 97 et 98). Malheureusement les autres atteintes telles que l’arthrose ou la dégénérescence du disque sont laissées au bord du chemin, avec impossibilité de faire une procédure en maladie hors tableau dans la mesure où le handicap atteint rarement les 25 % requis. Il en est de même pour les atteintes de la colonne cervicale.

LES CANCERS PROFESSIONNELS SONT SOUS-ESTIMES

Les cancers sont la première cause de mortalité en France, mais le nombre de cancers reconnus en maladie professionnelle est dérisoire. Il est de l’ordre de 1 800 par an alors qu’on estime que, sur environ 380 000 nouveaux cas de cancer par an, 5 à 10 % sont d’origine professionnelle. Un certain nombre de cancers font l’objet de tableaux des maladies professionnelles, avec une certaine facilité à se faire reconnaître sous réserve de répondre aux conditions exigées par les tableaux, principalement l’exposition au risque.

En fait, presque 90 % des cancers reconnus en maladie professionnelle sont des cancers du poumon essentiellement liés à une exposition à l’amiante.
Malgré l’existence de tableaux le compte n’y est pas, sachant par exemple qu’on estime d’origine professionnelle : 15 % des cancers du poumon, 10 % des cancers du sang, 10 % des cancers de la vessie, 10 % des cancers de la peau.
Pour savoir si un cancer peut être reconnu en maladie professionnelle, le lecteur doit se reporter au guide de l’INRS précédemment cité (ED 835).

La création de nouveaux tableaux de cancers professionnels se fait au compte-goutte, le patronat freinant des quatre fers. On doit cependant saluer la sortie récente du tableau n°101 concernant le cancer du rein en lien avec une exposition au trichloroéthylène.
Concernant les cancers professionnels, le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC) qui dépend de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) est un outil précieux notamment pour les cancers hors tableau. Il fait le point régulièrement sur la littérature mondiale et fait une distinction notamment entre les cancérogènes avérés pour l’homme (groupe 1) et les cancérogènes probables. Il publie régulièrement une liste qui fait la synthèse et qui est disponible sur internet. Récemment il a fait le point sur le travail de nuit, responsable (groupe 2 A) du cancer du sein chez la femme, du cancer du colon et du cancer de la prostate.

LA PATHOLOGIE RESPIRATOIRE NON CANCÉREUSE

Elle est dominée par les lésions liées à une exposition à l’amiante : l’asbestose qui est une fibrose du poumon avec le risque du développement d’une insuffisance respiratoire chronique et surtout les plaques pleurales la plupart du temps non invalidantes.

♦ La silicose qui a touché durement les mineurs de charbon et continue à évoluer chez les mineurs retraités, est une fibrose du poumon qui se manifeste sous forme de nodules qui envahissent le poumon avec à terme une insuffisance respiratoire chronique.
Elle reste une maladie d’actualité touchant de nombreux secteurs où les salariés sont en contact avec la silice et notamment les salariés du BTP. Elle fait l’objet du tableau des maladies professionnelles n°25.

♦ La broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) qui est une atteinte des bronches en relation avec une exposition aux gaz, fumées, poussières, débouche souvent sur une insuffisance respiratoire chronique grave.
Alors que les maladies précédentes sont mises en évidence au scanner, le diagnostic de la BPCO est établi à partir des épreuves fonctionnelles respiratoires et notamment le résultat du VEMS (Volume Expiré Maximal en 1 Seconde). La BPCO est prise en compte dans plusieurs tableaux des maladies professionnelles : salariés du textile, mineurs de charbon, mineurs de fer, mais concerne aussi de nombreux autres secteurs (fonderies, BTP, soudage …), nécessitant une démarche devant le CRRMP. On estime que 15 à 20 % des BPCO sont d’origine professionnelle.

15 % des asthmes sont d’origine professionnelle, mais 91 % des cas échappent à une déclaration professionnelle, alors que cette maladie figure dans plusieurs tableaux et notamment le tableau n°66.

Il faut savoir que la survenue d’un asthme lié au travail oblige la plupart du temps la victime à changer d’emploi, avant que la situation clinique ne s’aggrave.
L’indemnisation des maladies pulmonaires professionnelles fait l’objet de nombreux contentieux alors que le barème des maladies professionnelles est très explicite sur le taux d’IPP à attribuer selon les catégories d’insuffisances respiratoires chroniques. Une menace pèse pour l’avenir avec un projet en circulation sur la modification à la baisse des taux d’IPP.

LES AUTRES ATTEINTES PHYSIQUES

La surdité professionnelle reste encore fréquente, malgré les efforts faits dans les entreprises sur la prévention collective et individuelle sur l’exposition au bruit. Sa prise en compte reste insuffisante, avec plusieurs centaines de cas reconnus par an, alors que le nombre de cas est estimé à plusieurs milliers.
Plus qu’un problème d’exposition, la difficulté réside dans la caractérisation complexe de la maladie dans le tableau n°42, avec notamment l’exigence d’un déficit auditif assez important pour bénéficier d’une reconnaissance en maladie professionnelle. Une autre difficulté réside dans l’interprétation de l’audiogramme, donnant lieu à un certain nombre de contentieux et permettant de distinguer la surdité due au bruit des autres surdités. La surdité due au bruit débute au niveau des fréquences aiguës et donne à l’audiogramme un tracé particulier (surdité de perception).

L’eczéma est une réaction allergique au niveau de la peau au contact de nombreuses substances manipulées dans le cadre de l’activité professionnelle. Il représente le chef de file des atteintes bénignes de la peau dans le cadre plus général des dermatoses. Bien qu’il existe un certain nombre de tableaux de maladies professionnelles prenant en compte ces pathologies et notamment le tableau n°65, le nombre de cas reconnus en maladie professionnelle par an est ridicule au regard de ce qu’on pourrait attendre.
Il existe de nombreux tableaux de maladies professionnelles concernant les maladies infectieuses dont certaines sont devenues historiques, mais actuellement restent d’actualité : les maladies infectieuses en milieu hospitalier (tableau n°76), les hépatites virales (tableau n°45), la maladie de Lyme (tableau 19).

Un tableau récemment sorti (tableau n°100) concerne la Covid-19, mais il laisse beaucoup de victimes au bord du chemin, car il exige dans sa caractérisation une certaine gravité (nécessité d’une oxygénothérapie) et ne concerne que les soignants au sens large.
Enfin pour finir dans le cadre des maladies nerveuses d’origine professionnelle, l’exposition au trichloroéthylène peut être responsable de la maladie de Parkinson. Sa reconnaissance nécessite une démarche devant le CRRMP, mais elle est prise en compte pour l’exposition au manganèse dans le tableau n°39 et pour l’exposition aux pesticides dans la tableau n°58 du régime agricole.

LES MALADIES PSYCHIQUES

Santé3L’impact des conditions de travail sur la santé mentale des salariés fait régulièrement la une de l’actualité notamment en raison des cas de suicides dans divers secteurs professionnels (France Télécom, la police, les soignants, les enseignants …).
Il s’agit d’une solution extrême traduisant un profond désarroi de salariés soumis à une pression intense au travail associée à un manque de marge de manœuvre dans un contexte souvent de relations sociales dégradées résultant d’un management inadéquat et même toxique.

En fait la manifestation la plus fréquente de cette souffrance est la survenue d’un syndrome dépressif se traduisant notamment par une tristesse et un vécu pessimiste, une perte d’énergie, d’intérêt et de plaisir, un ralentissement psychomoteur avec la difficulté de se concentrer ... s’associent souvent des phénomènes d’anxiété et l’on emploie alors le terme de syndrome anxio-dépressif.
Cette pathologie entraîne le plus souvent lorsqu’elle devient conséquente, après une période souvent à bas bruit, une incapacité de travail qui peut durer longtemps et une prise en charge médicale (anti-dépresseurs, psychothérapie ….).
La dépression est une maladie fréquente dans la population générale touchant de l’ordre de 10 % des individus et il convient de faire une analyse précise de la situation pour la rattacher au travail.
Il n’existe pas de tableau de maladie professionnelle et une des possibilités est de faire une demande de maladie hors tableau avec la difficulté de justifier d’un taux d’IPP prévisible de 25 % pour que le dossier soit instruit. Aussi il est préférable de déclarer en accident du travail sous réserve d’identifier un événement déclencheur, au temps et au lieu du travail, ayant provoqué la décompensation.
Un terme est devenu à la mode, le burn-out, mais en fait il s’agit le plus souvent d’un syndrome dépressif dont on ne veut pas évoquer le nom car il a mauvaise presse. Il n’est pas souhaitable d’utiliser ce terme car il ne repose pas pour le moment sur des critères médicaux bien définis.

On ne peut pas terminer ce chapitre sans évoquer le stress, qui fait souvent le lit de la dépression. Il n’est pas une maladie, mais un processus adaptatif d’ordre biologique qui se déclenche lorsque l’individu se sent inconsciemment à la limite de ses capacités pour affronter une situation jugée menaçante.
Il existe un lien fort entre les situations de stress chronique dans les entreprises et la survenue de dépressions. Dès lors dans un souci préventif, il est nécessaire de débusquer ces situations en interrogeant les salariés, soit par des enquêtes élaborées, soit par des entretiens semi-directifs.
Dans ce domaine le questionnaire le plus célèbre est celui de KARAZEK qui en 29 questions analyse trois aspects : les exigences élevées au niveau du travail, la latitude décisionnelle du salarié et le soutien social ou non des collègues et de la hiérarchie.

CONCLUSION

Il convient de prendre en compte tous ces problèmes dans le cadre d’actions collectives de prévention pour que les salarié.e.s ne perdent pas leur vie à la gagner.
Pour les salarié.e.s confronté.e.s individuellement à ces problèmes, il convient de rappeler qu’il existe à la CFDT, à Strasbourg et à Mulhouse, des permanences médico-légales qui peuvent venir en aide aux syndicats ayant des adhérents avec des difficultés de santé au travail et de maintien dans l’emploi.

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Dr. L. PRIVET