Il y a 10 ans : la bataille de Florange (Est Républicain / 03 avril 2022)

Publié le 08/04/2022

ArcelorMittal : le combat des sidérurgistes de Florange durant la Présidentielle 2012

.../... pour sauver leur usine de production de fonte et les derniers hauts-fourneaux de Lorraine, une poignée de sidérurgistes décide d’entrer en lutte .../... S’ouvre un conflit social long de près de deux ans .../...
La lutte portée par ces hommes du fer marquera les esprits au-delà de la Lorraine .../...

ArcelorMittal et Florange

• Né en 2006 de l’OPA de Mittal Steel Company sur Arcelor, le groupe ArcelorMittal est devenu le leader mondial de l’acier et des mines. Il emploie 250 000 salariés dans plus de 60 pays, dont 20 000 en France.

• À Florange, la CFDT est la première organisation syndicale, avec 34 % des voix, suivie de la CGT (28 %), la CFE-CGC (25 %) et FO (10 %). À l’échelle nationale, elle est deuxième derrière la CGT.

• Les deux principales activités à Florange sont la fabrication de tôles d’acier pour l’automobile et le packaging (les canettes de boisson).

SOS en trois lettres rouges monumentales

A la fin de l’année 2011, le message de détresse des sidérurgistes Lorrains, déjà symbole des luttes de Longwy contre le plan acier à la fin des années 1970, est installé au pied de la statue de la vierge de Hayange. Sous le SOS, s’étend la vallée de la Fensch, ses villes en « ange », et les usines d’ArcelorMittal. Dans ce qui fut le Texas Lorrain chanté par Bernard Lavilliers, plusieurs milliers de salariés produisent encore l’acier liquide issu des deux derniers hauts-fourneaux de Hayange et le transforment dans les usines voisines de Florange. 

Depuis l’automne, les hauts-fourneaux sont à l’arrêt. Une mise en veille, officiellement, temporaire, liée à une baisse conjoncturelle du marché de l’acier mais en ce début d’année 2012,  l’arrêt se prolonge et l’inquiétude gagne.

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Le 20 février, près de 200 salariés prennent possession des Grands Bureaux, siège de la direction et des services administratifs d’ArcelorMittal à Florange.

" Le combat va être long ! "

prédit Edouard Martin, représentant de la CFDT devant les journalistes ..../...

 

Florange au cœur de la campagne

En cette année électorale, le combat sera aussi politique. Florange devient le cœur de la campagne présidentielle.

.../... Parmi les sidérurgistes mobilisés, les plus remontés sont sans doute les anciens de Gandrange. Dans la vallée de l’Orne voisine, l’aciérie a fermée trois ans plus tôt malgré les promesses du Président faites au détour de son voyage de noces.

Le 24 février, Nicolas Dupont Aignan vient à la rencontre des salariés qui bloquent la sortie des usines empêchant les expéditions des bobines d’acier.L’histoire  a oublié la visite du militant de Debout la République, éclipsée, le même jour, par celle de François Hollande. .../... Même s’il ne promet pas de sauver les hauts-fourneaux, François Hollande s’engage à porter une loi empêchant le démantèlement d’un site industriel rentable qui pourrait être repris.

Pique-nique et gaz lacrymogène

Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy annonce, à son tour, à la radio, une hypothétique solution pour le redémarrage des hauts-fourneaux et des promesses d’investissements de Mittal. Dans la Fensch, le discours laisse de marbre.

Le président-candidat s’est exprimé sans venir jusqu’à Florange. Alors les militants de l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO) imaginent tout de même s’inviter à Paris, le 15 mars. Le déplacement se veut bon enfant. Deux cents métallos ont prévus un pique-nique, rue de la Convention, devant le QG de campagne du candidat et une visite de la tour Eiffel mais ils seront accueillis à coup de gaz lacrymogènes.

Le retour des manifestants vers Florange est amer, les yeux sont encore rouges et les bus encadrés par un imposant dispositif policier.

.../... La gare ferroviaire d’Ebange, point stratégique où transitent les convois de brames à proximité des voies SNCF, devient un lieu privilégié pour les actions coups de poing.../...

blocage de la gare fret d'Ebange 

La marche de l’acier

La campagne présidentielle a braqué les projecteurs sur le combat des « Florange ». Les salariés vont saisir l’opportunité pour faire parler d’eux, .../...

De nouvelles idées d’actions émergent. Les métallos vont retourner à Paris et sous la Tour Eiffel mais à pied, cette fois-ci.

La « marche de l’acier » s’élance de Florange le 28 mars. Pas très entraînés mais avec la motivation et la fierté des hommes du fer, Jean, Fred, Edouard, Antoine, Rudy, Ali, Luis… dix-sept salariés, vont enquiller 350 km sur les routes de campagnes. Dix jours de marche et de bivouac ../...

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Le 6 avril, au pied de la Tour Eiffel - forgée en acier Lorrain - c’est toute une région qui est au rendez-vous pour un concert en apothéose ouvert par Bernard Lavilliers et les couplets de Fensch Vallée.

Carlita s’énerve

De retour à Florange, le combat continue. A l’aube de la neuvième semaine de lutte, les militants dressent leur « village gaulois » devant les Grands bureaux.

Les coups de pétards de Carlita – la machine à bruit des  cégétistes – résonnent jusqu’à Luxembourg mais ne perturbent pas les actionnaires d’ArcelorMittal en assemblée. Le géant sidérurgique n’a pas besoin de Florange pour répondre à la demande d’acier. L’arrêt «  temporaire » des hauts-fourneaux et le chômage partiel sont encore prolongés.

L’espoir d’Ulcos

L’été s’annonce lourd, dans la crainte du plan social. Le scénario d’abandon de toute la filière de production de fonte se précise même si  les usines « à froid » (la transformation de l’acier) pourraient être épargnées.

Le projet Ulcos, financé par l’Europe, est peut-être la seule lueur d’espoir. Ce programme expérimental de captage de CO2 à partir des hauts-fourneaux permettrait au site de Florange d’être le précurseur Européen dans la production d’acier vert.

Un site viable

Un mois  après l’élection présidentielle, les marcheurs et les représentants de l’intersyndicale sont reçus à l’Elysée par François Hollande. Changement de ton après l’accueil à coup de  gaz lacrymogène, les métallos ont troqué leur casque pour le costard et l’ambiance est studieuse.

A l’issue de la rencontre, Arnaud Montebourg, nouveau ministre du redressement productif annonce une mission d’expertise .../... sur l’avenir du site de Florange et la filière acier française. Rendu le 27 juillet, le rapport Faure conforte le combat syndical. Il confirme que, malgré le manque d’investissements de Mittal, le site de Florange est viable.

Toujours dans l’incertitude .../... Le 12 septembre, les blocages reprennent. La colère des salariés, contenue depuis des mois, est montée d’un cran. Deux bureaux de la direction, à nouveau occupés, en feront les frais..../...

112011 manif edouard martin groupe manif 

" Laminés ! "

Le 27 septembre, Arnaud Montebourg est à Florange. Cinq cents sidérurgistes l’attendent, sous la pluie. La mine sombre, le ministre anticipe l’annonce imminente de Mittal. Le groupe va acter la fermeture définitive des hauts-fourneaux. Seule concession du géant sidérurgique, il laisse la porte-ouverte à une cession des installations de la filière liquide.

Face aux annonces du ministre, les militants accusent le coup, déception et colère rentrée, comme assommés.

« Laminés ! » .../... Le groupe Mittal a confirmé la fin des hauts-fourneaux. 629 emplois vont disparaitre, sans compter les intérimaires et les sous-traitants.  Mais le gouvernement a encore soixante jours pour trouver un repreneur.

Travailler encore…

Entre la pression d’une direction .../... et la résignation des salariés, une poignée de militants tentent de maintenir les actions. .../...

La date butoir du 30 novembre approche. .../.... Un industriel français serait prêt à mettre 400 M€ sur la table pour l’ensemble du site mais Mittal est inflexible, il ne compte se séparer que de la filière liquide et entend conserver les usines de l’aval.

 « Le problème des haut-fourneaux de Florange ce n’est pas la défaillance des hauts fourneaux, c’est la défaillance de Mittal. » 

Devant le Sénat, Arnaud Montebourg brandit alors « l’éventualité d’un contrôle public temporaire du site ». La nationalisation reste un mot tabou mais l’ensemble des élus lorrains, de l’extrême gauche, à l’UMP, se disent prêts à l’appuyer.

A 48 h de l’ultimatum de Mittal, une poignée de militants campent devant Bercy,.../... C’est à l’Elysée et Matignon que se jouera le dernier acte.

Espoir déçu

Le 30 novembre, à la fin des journaux de 20 h, le premier ministre Jean-Marc Ayrault annonce la fin du match.

La nationalisation temporaire est écartée. Les hauts-fourneaux ne redémarreront pas. Mittal conserve ses installations, mises sous-cocon, en attente d’un hypothétique projet Ulcos. L’industriel s’engage aussi à investir 180 M€ dans la filière froide. Tous les salariés des hauts-fourneaux seront reclassés. Le plan social est évité mais pour les militants lorrains c’est une douche froide. .../...

« Traitre », lâche seulement Edouard Martin, mâchoires serrés.

 .../.... Ici, les promesses de Mittal ont un goût trop prononcé de déjà-vu pour rassurer. Si les licenciements sont évités, les emplois vont disparaître.

Épilogue

Une commission de suivi des promesses de Mittal est mise en œuvre. Elle sera dirigée par François Marzorati. L’ancien sous-préfet de Thionville maîtrise le dossier et connaît bien les « Florange ». Sa personnalité est saluée. Mais, moins d’une semaine après l’annonce de l’accord, l’abandon par Mittal du projet Ulcos jette une nouvelle fois le doute sur les engagements pris.

La fin de l’année 2012 et le début 2013 restent émaillés d’actions coups de poing des derniers irréductibles de Florange qui réussiront encore à s’enchaîner, brièvement, aux grilles de Matignon, avant de goûter une nouvelle fois au lacrymo.

L’accord social pour les 629 salariés menacés est signé en juin 2013. Plus de la moitié partiront en retraire, les autres seront reclassé au sein du groupe.

« Sous-cocon », les hauts-fourneaux sont condamnés à une mort lente.

Dix ans après…

La haute silhouette grise des hauts-fourneaux marque toujours le paysage de la vallée de la Fensch. Les riverains guettent désormais la déconstruction. La reprise du marché de l’acier n’a pas changé l’histoire déjà écrite par l’industriel. L’arrêt définitif a été confirmé en décembre 2018  dans l’indifférence quasi générale de la population.

La bataille de Florange aura été, jusqu’au bout du quinquennat,  un « cailloux dans la chaussure » de François Hollande. Même si le Président est revenu - trois fois - défendre ses engagements tenus, la fin des  derniers hauts-fourneaux lorrains est restée un nouveau symbole de l’impuissance politique.  

Pour les syndicalistes, malgré l’amertume et les espoirs déçus, le combat n’aura pourtant pas été vain. 

Le site industriel de Florange aujourd’hui dédié à la seule transformation de l’acier a bien été conforté.

De nouvelles lignes de galvanisation en font un centre d’excellence des aciers de hautes technologies où s’investissent encore 2300 salariés.