
“Il y a trente ans, on faisait son taf sans trop se poser de questions. On se disait : ‘Tant qu’on a la santé !’…” (SH / 25 février 2025)
À Colmar, les militants CFDT de Pontiggia demandent une meilleure prise en compte de la pénibilité à laquelle les exposent leur métier et la prise en charge du lavage des vêtements de travail… Pour ne pas risquer de rapporter la silicose à la maison.

En ce matin de février, la neige craque sous les pieds. Le thermomètre affiche – 2 °C. Dans la petite commune d’Horbourg-Wihr (Haut-Rhin / Grand Est), à la périphérie de Colmar, les ouvriers du chantier de travaux publics sont à pied d’œuvre. Depuis plusieurs semaines, ils construisent un cheminement de mobilité douce (pistes cyclables, sécurisation des piétons…) en prévision de l’ouverture d’un nouveau groupe scolaire, à la rentrée. Après plus de trois heures passées dehors, la pause de dix heures, dans le bungalow modulaire attenant au chantier, est la bienvenue.
« Il n’existe pas de règles d’aménagement au climat ; ici, c’est l’homme qui se cale sur les machines, jamais l’inverse », résume Laurent Moulin, chef de chantier et secrétaire du CSE chez Pontiggia, entreprise alsacienne comptant environ 230 salariés (dont 70 à Horbourg-Wihr).
« Ce sont les matériaux que l’on utilise et les tâches que l’on réalise qui vont déterminer si on travaille ou pas. Typiquement, on ne peut pas mettre en œuvre du béton par – 5 °C. Hormis ce cas particulier, les aléas climatiques font partie intégrante de notre métier. »
En hiver, le froid vient s’ajouter aux différents facteurs de pénibilité liés au BTP : le port de charges, les vibrations des machines, le bruit, les postures pénibles ou encore l’exposition aux agents chimiques. « Mais le plus dur, ça reste l’été ! », assurent les ouvriers. « L’hiver, tu peux toujours ajouter des couches de vêtements. Mais l’été, quand tu fais de l’enrobé [goudron] à 100 °C, en plus des émanations, c’est un enfer. Surtout depuis qu’on nous a imposé de porter des manches longues pour se protéger la peau », développe Ramazan, pelleteur de métier et depuis vingt ans dans les travaux publics.
Très peu de salariés du BTP possèdent un compte pénibilité
Or les températures faibles ou très fortes ne sont qu’un problème parmi d’autres – un facteur de pénibilité au travail faisant partie des dix fixés par décret en 2014, mais dont quatre ont été supprimés en 2017. Chez Pontiggia, racheté par le groupe NGE en 2020, on prend les accidents du travail très au sérieux. Les mesures de prévention sont régulièrement rappelées aux salariés. Mais aucun d’eux ne possède de C2P, le nouveau nom donné à ce qui fut le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P).
« Il n’y a pas de compte pénibilité parce que les quatre critères les plus évidents [responsables à eux seuls de 88 % des maladies professionnelles] ont été retirés ou que les plafonds d’exposition ne sont pas atteints. Dans le BTP, où tous les critères se cumulent, presque aucun salarié ne possède de compte ! », assure Brice Caudoux, secrétaire du Syndicat Construction et Bois CFDT du Haut-Rhin.
Le fonds de prévention de l’usure professionnelle, issu de la réforme des retraites de 2023, est quant à lui largement sous-utilisé. « Sur les 200 millions d’euros provisionnés en 2024 pour financer les actions de prévention des entreprises, seuls 8 millions ont été consommés. Il y aurait pourtant beaucoup à faire, notamment dans notre secteur », poursuit le syndicaliste.
Devoir conduire sous calmants
Au milieu des discussions, Théo, du haut de ses 16 ans, observe. Ce jeune apprenti fait partie de la nouvelle génération à qui l’équipe essaye d’apprendre les bons gestes de sécurité mais aussi de prévention. « Il y a trente ans, dans le BTP, on venait et on faisait son taf, sans trop se poser de questions. On se disait : “Tant qu’on a la santé !”... Aujourd’hui, on paye le prix de cette politique. On voudrait donc que la jeune génération fasse plus attention », poursuit Laurent Moulin, qui est également le tuteur de Théo. « Régulièrement, il nous fait d’ailleurs son rapport d’étonnement sur telle ou telle chose qui le choque. Ça nous oblige nous aussi à nous remettre en question, c’est plutôt sain. »
Bataille autour du nettoyage des bleus de travail
Une situation fait sourire le jeune homme quand ses collègues l’abordent : la bataille que mène actuellement la CSSCT (Commission santé, sécurité et conditions de travail) pour que la direction prenne en charge le nettoyage des vêtements de travail. Jusqu’à présent, les ouvriers rapportent chaque semaine leur linge à la maison. Les bleus de travail, remplis de poussière de silice (produit classé cancérigène depuis trois ans), sont fréquemment lavés en machine avec les habits des enfants. « On a tendance à penser que la silicose a disparu avec la fermeture des mines en France, mais elle existe toujours », résume un ouvrier.
Actuellement, les discussions avec la direction achoppent. La section CFDT a néanmoins bon espoir de réussir à faire entendre raison à ses interlocuteurs. « S’ils ne veulent pas prendre en charge le coût d’un prestataire de nettoyage, il suffirait qu’ils mettent des machines à notre disposition dans l’entreprise pour que l’on puisse laver nos vêtements en toute sécurité, poursuit Laurent. On n’a pas tous la possibilité d’avoir deux machines à la maison et d’en réserver une aux bleus ! » Tous en sont bien conscients : si la sécurité sur les chantiers est l’affaire de tous, ce sont aussi grâce à de petites avancées, qui peuvent paraître anecdotiques, que l’on réussira à mieux prévenir les maladies professionnelles.