
Interview Marylise Léon (DNA / 13 février 2025)
« Sur l’immigration, nous avons des politiques menteurs et hypocrites »

Oui, il faut un débat sur l’immigration, mais dans un climat serein, déclare Marylise Léon .../.... dit également son espoir d’obtenir des avancées lors de la nouvelle concertation sur la réforme des retraites. Elle rencontrera ce vendredi à Colmar (Haut-Rhin) des travailleurs des travaux publics et de la métallurgie sur les problèmes de pénibilité du travail.
La semaine prochaine, la Cour des comptes rend son rapport sur l’état financier du système des retraites. Qu’en attendez-vous ?
« Un diagnostic qui soit clair et indiscutable, comme celui que nous établissons dans le cadre du Conseil d’orientation des retraites (COR). Nous attendons la confirmation de notre évaluation, à savoir un déficit autour de 15 milliards d’euros à l’horizon 2030. »
Et si, à la suite du Premier ministre François Bayrou, sont pris en compte les 55 milliards de subventions de l’État ?
« Ça changerait totalement la nature de la concertation, qui a pour objectif de revenir sur la réforme de 2023. Si on veut faire le mélange entre fonction publique et secteur privé, si on veut sortir du cadre, ça sera sans la CFDT. »
''Conclave'' sur les retraites : « Ça fait deux ans qu’on attend une discussion sérieuse »
Qu’attendez-vous du ''conclave'', cette réunion de concertation des partenaires sociaux sur les retraites ?
« C’est extrêmement important pour la CFDT, car ça fait deux ans qu’on attend une discussion sérieuse. On le doit à tous les manifestants qui nous ont suivis au moment de la mobilisation retraite, et aux travailleurs qui vivent de plein fouet les conséquences de cette réforme injuste. Et notre rôle, c’est d’être à la hauteur de leurs attentes et d’obtenir des avancées. Nous avons trois sujets clés. Un bougé sur l’âge légal de départ avec le refus des 64 ans… »
...ce qui ne veut pas dire forcément un retour aux 62 ans ?
« C’est la base de discussion. Après, on verra quelles sont les avancées auxquelles sont prêtes les autres organisations, notamment patronales. Le deuxième sujet, c’est la meilleure reconnaissance des inégalités femmes-hommes. Et le troisième, la pénibilité. La reconnaissance de la pénibilité du travail d’un salarié, c’est une dignité retrouvée, et entendre des employeurs dire que la pénibilité n’existe pas, c’est insupportable. Pour la CFDT, le travail est une formidable source d’émancipation et d’épanouissement. Mais il faut aussi reconnaître que le travail peut abîmer les corps et les esprits. »
Le Premier ministre a évoqué l’hypothèse de confier la gestion de l’ensemble du système des retraites aux partenaires sociaux, qui gèrent déjà les retraites complémentaires. Vous êtes tentée ?
« En tant que responsable syndicale, gérer pour gérer, ça ne m’intéresse pas. Je gère si je peux définir les règles et si je suis en responsabilité, comme dans la gestion de l’Agirc-Arrco. Alors la discussion mérite d’être menée. »
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Votre prédécesseur Laurent Berger avait parlé d’une crise démocratique. On y est toujours ?
« Oui, depuis de nombreuses années. La crise des retraites a été un moment d’accélération de cette crise, .../... Nous avons aujourd’hui des responsables politiques qui sont bien plus intéressés par leur propre avenir que par l’intérêt général. »
« L’économie française ne tourne pas sans immigration »
Des responsables politiques estiment qu’une manière de sortir de la crise serait de se tourner vers les Français, d’organiser des référendums, par exemple sur l’immigration…
« .../.... on a aujourd’hui sur l’immigration des responsables politiques qui mentent, des responsables politiques cyniques et hypocrites. Depuis 15 ans, le nombre d’immigrés accueillis en France est stable, donc parler d’une vague de plus en plus haute, comme une submersion, c’est faux. Le cynisme, c’est que des responsables politiques sont prêts à mentir pour servir leur intérêt personnel, à savoir leur candidature à une prochaine élection, et pas l’intérêt général. Et l’hypocrisie, c’est que l’économie française ne tourne pas sans immigration..../.... On a besoin de main-d’œuvre immigrée en France pour le bâtiment, la restauration, l’hôtellerie : comment les accueillir dans de bonnes conditions, comment par exemple leur garantir l’accès à des cours de français, puisque ça fait partie des conditions imposées ? »
Le président américain Donald Trump semble vouloir tout bousculer… De votre position de responsable syndical, vous voyez cela comment ?
« Je suis inquiète de sa manière de tout casser, et du temps qu’il faudra ensuite pour reconstruire. Il se retire de la commission des droits de l’homme de l’ONU, il supprime les aides aux agents du développement, il intervient sur des questions de société en ordonnant la suspension des fonctionnaires en charge des discriminations, en multipliant les mesures anti-IVG… J’espère qu’il y aura rapidement un sursaut européen : nous n’avons pas d’autre choix que de nous unir pour faire face. »